F.aire L.a F.euille, coll. Expériences poétiques (dir. par M. Batalla), éd. Le clou dans le fer, 2008 || : partie I : 2-3', 41-46, 51, 58-59 ; partie II : 77-78, 80-81 (+), 94-95, 109-110, 114, partie III : 115
 
 

15,8 x 21 cm, 128p
978-2-917824-00-9


Le cow-boy et le poète
2011

part &
2011

De la rose et du renard, (...)
2012
 

Critiques


Frédéric Laé pour la Maison de la poésie de Nantes

(...) Ce qui frappe d’abord, en ouvrant l’un de ses livres, c’est l’éclatement graphique, la profusion de matières hétérogènes : poèmes visuels, logos, schémas, grands blocs de texte serré, coupés de photos ou de gravures anciennes. Ces recherches graphiques s’appliquent également au texte lui-même, qui recourt à toutes les variations typographiques, changeant de corps et de graisse, d’orientation et de police. La forme joue le disparate, le fond suit très logiquement la même ligne hétérogène : journal de bord, souvenir d’enfance, évocation des amies, relation de voyage, dialogues, questions techniques sur l’écriture, jeux de mots et assonances filées, carré magique, pages de David Hume dûment tamponnées et insérées telles que. Le temps et l’espace sont dilatés, on se trouve à Berlin en 1975, en Italie après les guerres puniques, à Paris aujourd’hui ou à Tahiti. Autant de voix, personnelles et impersonnelles, sophistiquées et vulgaires, discursives et documentaires, qui trouvent leur expression dans l’explosion graphiques du livre (ou, en lecture, dans les variations de la voix).

Les oeuvres d’Anne Kawala se présentent ainsi comme des pièces baroques, en expansion, selon toutes les directions. Peut-être refusent-elles de choisir entre l’histoire et le contemporain, entre l’ici et l’ailleurs, pour se chercher une position (ou une méthode) susceptible d’interpeller à l’envie toutes ces dimensions. Face à la profusion de pistes ouvertes par ces textes, on peut esquisser deux manières de lecture. Remarquer, premièrement, que certaines phrases, certains mots, résonnent avec d’autres, ailleurs dans le livre, qui renvoient eux-mêmes à d’autres pages. Par un jeu de rappel et de contagion, se tisse un réseau de concordances équivoques, que rien ne garantit vraiment, mais qui fait du texte une géographie, un territoire que l’on pourrait envisager depuis chacun de ses points. Chaque ligne du texte, est ici une entrée possible, un point de vue qui donne sur l’ensemble. Chaque lecture reconstitue une carte du trajet, une carte parmi d’autres. Mais, on peut aussi remarquer que, ces mêmes pages, lues dans l’ordre cette fois, traduisent autre chose qu’une géographie. Anne Kawala porte une attention particulière aux transitions : d’un ensemble poétique à un autre, d’une phrase à une autre et d’un mot au suivant. Articulé, le texte forme un tout continu, qui impose sa vitesse, ses accélérations, parfois brusques et ironiques, et ses ralentis, ses vides, ses moments d’attente. Il y a là une pulsation, un rythme par contrastes qui emporte le texte. Un poète, c’est une foulée particulière – celle-ci est soutenue ici par une volonté nette, formulée ainsi à la dernière page de « Faire la feuille » : « [...] tu voulais signifier dire au lecteur (ton envie) d’aller voir dehors »

   
    Ronald Klapka dans la lettre de la Magdelaine du 24 juin 2008

(...)

J’en extrais :

« Momot t’es adepte de l’Oulipo?
« Bah, dit Momot, j’aime bien, mais...
« Comment ça Momot? T’anagrammises tout de même 58 mots qu’articulent 58 poèmes, Shake - TCHAK! Et voilà que tu balances « j’aime bien, mais... », aussi
innocemment que de la pluie. Donc? Barbare, c’est ça que t’es? T’trouves pas qu’tu t’égouttes un peu trop dans le blanc du ciel pixel, HOP!, que tu laisses agneler toutes tes premières envies, tes impressions, tes souvenirs super persos! Tu vois Momot, si j’étais méchante, mais vilipende-t-on son alter ego?, si j’étais méchante Momot, je te dirais bien que tout ça rime à pas grand chose!
« Be calm! Naïve petite chose! Tu restes que juste mon reflet Maumo, be quiet! Si tu tachycardes ainsi, tu vas exploser! You know I never lie, me, Maumo!

(...)

l’oralité fait partie du projet : elle est souvent un préalable, ce qui signifie que ces textes, dont la dimension visuelle est un paradigme, se destinent aussi, pour la
plupart, à la performance. Le corollaire est que l’autre est inclus dans le dispositif.

(...)

Oralité, altérité, sens inédit. Le montage (la préface s’intitule : Montez donc) est ici indissociable de « l’état d’esprit à l’oeuvre » qui distingue le livre d’Anne Kawala de la plupart des « productions » qui se réclament des mêmes outils, procédures et modes d’adresse.

     
      Guillaume Fayard pour Cahier Critique de Poésie n°17

Imaginons (ce volume rend imaginatif) que la poésie, sous la forme allégorique d’une jeune femme aventureuse, décide de visiter tous ses genres, et en traverse à chaque page de différents : vers, prose, poésie visuelle, narré, oulipo, flux ; concrète, qu’elle se souvienne souvent de Mallarmé, invente des formes graphomanes, accélère quand les pages s’imbriquent en récit par les marges, aménage ici images, schémas, là superpositions de textes et / ou images appuyant son propos, le et / ou lui ressemblant bien, qu’en retournant ses énoncés pour faire je de tout bois (faire la feuille?) elle traverse de cette façon le « cas » Beaux-Arts, se souvienne de Huelsenbeck, intègre ici l’essai sur le suicide de Hume (1777), différencie poétiquement une piscine d’un bac, parle d’Un coeur simple que sa maîtresse déconseillait, d’Emmanuel Bove, de Manara, Chris Burden, du Pinot noir, de Jean Renoir et des chromosomes, et on aura une lacunaire idée du foisonnement jouissif de ce premier livre.

     
      F.aire L.a F.eui||e (f.l.f) in Ecran Total
      vue de l'installation Ecran Total
  détail de l'installation Ecran Total

Ecran Total
une installation de Maxime Thieffine
pour l'exposition « Les Bords Dispersés »
à la Maison Flottante du CNEAI, Chatou
( Commissariat : Christophe Lemaître & Elodie Henrion pour Super)

F.aire L.a F.eui||e : (36-38)

     
      A propos
     
      Boîte à outils, F.aire L.a F.eui||e, s’est intriqué aux premières expérimentations de lectures performées constituées alors de différents montages de poèmes de ce recueil. Discontinuités textuelles discursives, mais également somme continue : son titre vient, ironico-sérieusement, du souvenir d’une consigne de danse contemporaine : faire la feuille. Soit, comment rendre possible, analogie au mouvement d’une chute, par le texte, de feuille en feuille, de pages en pages, la traversée d’un livre ?

Constatant par ailleurs une impossibilité à sortir, lors de l’écriture, d’un certain type de vocabulaire, la contrainte adoptée a été de commencer chaque poème par le dernier mot du précédent - estimant que le dernier mot d’un poème ne pouvait pas refléter son ensemble ni condenser, du moins pas à chaque fois, toute son accentuation. Le jeu et la liberté trouvés dans ce processus kyrellique me permirent d’explorer plusieurs formes d’écritures, de les réinterpréter, d’en analyser leurs historicités, de les mélanger (écriture-flux narrative voire auto-fictionnelle, écriture sonore, écriture visuelle avec réintrodction de l’invention d’un signe de ponctuation, pratique de la citation, invitation à d’autres artistes), en même temps que d’exposer les différentes focales constituant le tissu de mes recherches (le rapport de l’écriture à l’art contemporain, une forme d’humour basé sur l’absurdité, le surréel, la logique de l’assonance, la question de la traduction et de l’usage de différentes langues, le dialogue théâtral, la collaboration, le rapport de l’intime et du public). L’observation du résultat de cette première expérimentation, une combinaison d’une double matérialité, me permit d’interrompre ce processus (qui aurait pu être infini) pour remettre en jeu ces différents éléments par le biais d’une nouvelle contrainte. Apès un vocabulaire s’imposant par le mouvement même de l’écriture, semblait légitime se savoir si la composition pouvait, à partir d’un vocabulaire pré-existant, avoir lieu. Pour que le lien entre première et seconde partie soit effectif, ce sont les mots-pivots de la première partie qui, une fois anagramatisés, les ont définit, bornant chacun des poèmes à écrire, puisant quant à eux dans les focales évoquées. Apparaissait évident la possibilité d’une lecture discontinue. Pour permettre en même temps celle continue, que chaque partie soit le reflet déformé et dialoguant avec l’autre, certains poèmes furent ré-écrits pour obtenir, dans l’espace de ce livre, une composition à la fois visuelle, sonore et narrative. Clôt F.aire L.a Feui||e, un dialogue écrit entre Momot et Maumo, emprunt à peine déguisé à Antonin Artaud, où ré-employant (presque) tous les mots-bornes, j’y explicite et critique mes positions par rapport à la poésie contemporaine.